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Bronislas OKINCZYC
(1881-1942)

 

 

 

Quelques extraits du journal de Bronislas Okinczyc : :

 

25 juillet 1915 (la foi du combattant)

assisté au sermon à l'église de Lamotte
Nos morts devraient rire en allat à Dieu à ceux qu'ils laissent sur la terre.
"Vivez en paix parce que nous donnons notre sang pour la paix que nous vous souhaitons"

 

6 août 1915 (une lettre adressée à mon frère Bernard me revient)

Une lettre écrite à Bernard le 16 juin me revient.Je souffre de l'incertitude du sort de mon pauvre frère.

 

10 août 1915 (à nos chers disparus)

Lu un article d'Henry Bordeaux sur les Disparus. Pauvre Bernard ! L'espoir ne doit se perdre qu'à la dernière extrémité. Mais quelle douleur dans cette atente prolongée : Le front se heurte contre le silence, contre toutes ces ténèbres qui s'amoncellent. Chaque soir qu itombe ajoute à la séparation. Les disparus n'apportent pas la paix cruelle et définitive dzs morts. Nous connasssons des angoisses pareiles à celles des blessés oubliés sur les champs de bataille, ô mères torturées, ô pères chargés de doute et de deuil. Vous appelez, et nul ne vient. Que le calme descende sur vos coeurs Chaque joour qui se lève est un rapprochement. Les disparus ne sont pas éloignés de vous. L'espace ni le temps ne comptent pour les âmes qui s'aiment et qui se cherchent.D'où qu'ils soient, ils vous envoient, s'ils sont vivants, leurs pensées invisibles qui doivent vous rassurer et vous rafraîchir.L'amour donation est sûr n'a pas besoin de témoignages directs et vous connaissez bien vos enfants.S'ils sont libérés du poids de l a souffrance, ils sont au bout du chemlin de votre vie.A mesue que vous avancerez, vouu distinguerez mieux leurs traits lumineux, leurs bras tendus, le sourire de leur sacrifice. Car la foi peut coùmbler le vide de l'attente...

 

24 décembre 1915 (face à face avec l'ennemi)

Hier matin , un boche venait se rendre, mais un zoouave a tiré et le Boche est tombé dans un trou d'obus. Toute la journée, on l'a vu dans ce trou. Le soir une patrouille est allée voir : le boche n'y était plus. Un ordre a été donné de ne tirer que sur les groupes supérieurs à six hommes.

 

16 janvier 1916 (les ballons captifs d'observation du champ de bataille)

Le temps est beau, les avions sillonnent l'espace et notre "saucisse", ballon captif de forme allongée,. A la corde qui relie le ballon à la terre se trouvent attachés quatre ou cinq petits balllonnets qui feront parachute dans le cas où les observateurs sont obligés de quitter le ballon crevé ou enflammé par les projectiles ennemis.

 

3 mars 1916 (c'est vexant tout de même d'être pris pour un boche)

On nous donne un nouveau modàle de masque contre les gaz, toujours en forme de groin de porc.
On a arrêté un boche habillé en fantassin français dans la tranchée de 1ère ligne. L'écusson qu'il portait, n'étant pas celui deu régiment alors en ligne, avait permis de le soupçonner. D'ailleurs l'un des nôtres fur également arrêté aussi par deux officiers et un sous-officier. On lui mit le revolver sous le menton et on le pria de marcher devant ; ils se rendirent bientôt compte qu'il connaissait bien les tranchées et ils le rlâchèrent.
Dans notre groupement, nous avons toutes sortes de numéros. Les uns ont des 5 (5ème lourd) d'autres des 16 ou du 28 comme moi. On devrait nous donner au moins un insigne spécial à notre groupement. C'est vexant tout de même d'être pris pour un boche.

 

8 avril 1916 (rencontre avec un petit garçon)

Un petit garçon de quatre ans et demi vint près de moi pendant une garde de jour .Il me dit que son papa était à la guerre.
Or comme je lui demandais s'il lui écrivait, il me répondit : "Papa a été tué à la guerre". Pauvre petit !

 

22 mai 1916 (j'embrasse mes deux petites)

Partis la veille avec Henriette pour Paris,, nous retrouvons Jean chez mère et allons ensemble à St-Germain où j'embrasse mes deux petites.

 

4 juin 1916 (le plus patriote de nous tous)

Mon brigadier disait hier " Okinczyc, c'est le plus patriote de nous tous".
En effet, j'avais fini par me révolter du pessimisme des méridionaux et je leur dis : "eh bien, puisque vous parlez toujours de vous rendre, qu'est-ce que vous attendez pour aller du côté des tranchées?".

 

5 août 1916 (les tirailleurs sénégalais et les bombes asphyxiantes)

Rencontre des tirailleurs sénégalais : ils portaient tous un grand coutelas long de 30 centimètres, enfermé dans une gaine de cuir. "Pourquoi" , leur demandé-je. Pour couper le cou à boches, me répondit l'un deux en montrant ses dents blanches. Quelle guerre ! où les armes des sauvages côtoient les dernières inventions. En effet les Boches envoient maintenant la nuit des bombes asphyxiantes qui font peu de bruit en éclatant et qui sont destinées à surprendre les dormeurs. Aussi met-on des guetteurs avec des clairons ou des trompettes pour donner l'éveil.

 

16 septembre 1916 (apparition des tanks)

On commence à entendre parler de pièces d'artillerie qui peuvent passer partout, qui n'ont pas de roue, et qui avancent tel des reptiles au moyen d'une chaîne sans fin sur un chemin qui se pose constamment sur le sol : ce sont les tanks qui apparaissent..

 

13 octobre 1916 (revoir maman)

Pendant ma permission, j'ai eu le plaisir de revoir maman beaucoup mieux qu'au mois de mai et Jospeh qui partait pour le front le lendemain.

 

22 octobre 1916 (des bombes et une église)

Visite encore d'avions boches. Une bombe dans la nuit et à 10h du matin, deux autres bombes tombent près de l'ambulance. Un culot de 75 lancé par nos canons anti-avions tombe près de notre cagna.
Le général Marchand vient d'être blessé à la jambe. Son officier d'ordonnance fut tué à ses côtés par le même obus.

 

12 novembre 1916 (ils ne l'auront jamais, notre France)

Je sers la première messe dans l'église de Chuignes.
J'ai le bonheur d'y faire la Sainte Communion..
Le soir, prière et salut. Nous avons chanté "iLs ne l'auront jamais, ils ne l'auront jamais, le pays des preux, notre France. redisons le cri de vaillance ; ils ne l'auront jamais, jamais ! " . On était une centaine, c'était émouvant toutes ces voix mâles répétant avec ardeur ce refrain comme si on avait voulu que les Boches l'entendissent.

 

12 décembre 1916 (mes camardes de popote)

Quelques types de mes camarades de popote.

D'abord le brigadier Krabansky, surnommé Krab dans l'intimité, mais son caractère pointilleux n'admet pas que ses hommes l'appellent ainsi.
De Berthelier ou de moi, il accepte encore quelques plaisanteries,, car "il sait de qui ça vient". Bon garçon cependant, représentant en cafés à Roubaix avant la guerre, a beaucoup d'entregent et assez bavard par habitude.

Berthelier, propriétaire foncier, marié à une Italienne, mais dont les grands-parents étaient français. Pas beaucoup de distinction, mais bien élevé, et d'une culture qui ne se laisse voir qu'à la longue.

Schomer, surnommé le croque-mort, conducteur de corbillard à Paris. Caractère très gai, chante et dit des monologues. D'origine alsacienne.

Andermat, de père suisse et de mère belge, ouvrier briquetier, raisonne juste, mais de caracrère emporté : vraie soupe au lait, est contre la repopulation.

Bailly, bûcheron, esprit faussé, a la haine du riche, beaucoup de parti pris, mais des raisonnements.

Longuet, tonnelier : grossier, jaloux également de ceux qui possèdent. Ces trois derniers forment le parti socialiste de notre groupe. .

Godailler, charron, menuisier, forgeron, établi en Bretagne, ne sait ni lire, ni écrire. Caractère très doux, très serviable, mais ne fait pas un pas plus vite que l'autre. Cause peu, pas religieux, mais sans hostilité.

Carvest Casimir, breton buvant bien, figure cramoisie à force de sucer autre chose que de la glace. Originaire de la "paroisse" de Mesnil Plouya, canton de Hoelgoët (Finistère). Madré, parle un peu mieux le français qu'à son arrivée au 28ème. Très serviable et bon garçon. A une petite ferme qu ilui vient de son père. Têtu comme un Breton. Aime bien sa "petite femme noire" comme il dit. Un peu la tête de Turc de tout le monde, mais ne se fâchant jamais. Allure lente comme un bon paysan qu'il est. très bavard, raconte ses petites histoires à tout le monde. Appelle tous ses camarades "mon poteau", ce qui veut dire en argot de régiment "mon ami". Ferait des kilomètres pour un litre de pinard.

Bureau, menuisier, originaire de la Somme. A sa ferme du côté de Péronne chez les Boches, comme Longuet et Krabansky. mauvais esprit, très nerveux. Compte à notre groupe, mais y vient quand cela lui chante, étant attaché à la cuisine du commandant.

 

21 janvier 1917 (Sainte Cène)

Je vais à l'église, pas de messe, l'église est fermée.
Une ombre apparaît. C'est le curé.qui arrive. Je puis au moins faire la Sainte Cène.

 

7 mars 1917 (une fabile idée de la guerre)

Je viens de lire une critique sur les oeuvres exposées au Salon des Armées. On y constate que l'ensemble ne donne qu'une faible idée de la guerre, que tout a une teinte neutre. On aurait voulu voir quelque chose de plus héroïque, de plus impressionnant. Et pourtant, la guerre, telle qu'on la fait actuellement, sous terre, dans l'obscurité des jours qui s'achèvent ou dans la nuit, dans la boue, le brouillard et la pluie, avec des soldats au teintes fondues du bleu horizon au jaune sale à cause de la boue qui unifie tout, hommes et choses, cette guerre ne doit pas prêter à l'inspiration picturale. Ce ne sont plus les costumes chatoyants des armées du 1er Empire, ni même les culottes rouges des fantassins ou les dolmans bleus des chasseurs et des hussards ce ne sont plus les combats au grand jour, en pleine lumière.

 

12 avril 1917 (les zouaves descendaient des tranchées)

Nous rentrons toujours très tard maintenant. Les guerres deviennent interminables comme à Fismes. Vu ce matin des zouaves descendant des tranchées : ils se traînaient littéralement. Fatigués, hagards, abrutis par les bombardements et les horreurs vécues. Couverts de boue des pieds à la tête. qu'ils sont à plaindre nos pauvres fantassins :

 

5 mai 1917 (Pétain et Nivelle sont là)

Incendie de plusieurs maisons à Fismette. Ells servaient de cantonnement, aussi les cartouches abandonnées éclataient les unes après les autres.
Le matin, de bonne heure, je remplace un conducteur malade pour aller ravitailler à l'échelon. Au retour je vois une dizaine de pièces boches prises dans la nuit et exposées près de la sucrerie de Merval.
Deux gendarmes ramènent un espion déguisé en officier de la division marocaine
La lutte a repris avec acharnement.
Petain et Nivelle sont là. On ramène des boches prisonniers et blessés.

 

7 mai 1917 (jusqu'à se servir des baïonnettes)

Contre attaque furieuse des Boches. Les nôtres ont dû réagir jusqu'à se servir des baïonnettes, les tirs de barrage ne suffisaient pas.

 

14 juiillet 1917 (ce que le gouvernement nous alloue)

Le gouvernement nous alloue un cigare, un demi-litre de vin, cent grammes de cochon horriblement salé qu'il appelle pompeusement jambon, un quart de bouteille de vin mousseux dont le bouchon refuse de partir seul, et cinquante grammes de confiture.
Il n'y aura pas de quoi être malade.

 

5 novembre 1917 (quels paysages de désolation sont engendrés par la guerre actuelle ! )

Les bois se dépouillent rapidement. Il n'y a plus que des feuilles roussies où tous les tons du jaune au rouge-orange s'entremêlent. Bientôt tout cela ne sera plus qu'un tapis sous les futaies. Les horizons s'éloignent, car les yeux glissent plus loin à travers toute cette dénudation, et nous apercevons maintenant des coteaux, des villages.
Le major de retour du poste de commandement disait hier à mon lieutenant : "enfin je vois des arbres". En effet, là-bas, des forêts semblables à la nôtre, il ne reste plus qu'un tronc déchiqueté tous les cent mètres, et de tout ce qui fut l'arbre, il ne reste pas trace, tellement la violence et la multiplicité des explosions a réduit en miettes jusqu'aux plus infimes branchages.

Quels paysages de désolation sont engendrés par la guerre actuelle !

 

20 novembre 1917 (j'ai vu redescendre des tranchées des restes de régiment)

J'ai vu redescendre des tranchées de l'Aisne des restes de régiment après plusieurs jours de bombardement. Ils marchaient sur le même route que nous et nous les croisions avec nos fourgons.Les larmes me venaient aux yeux, de voir ces êtres humains dont le cerveau las, brisé par le fracas des explosions, continuait cependant à commander à des corps à bout de forces.
En tête marchait un capitaine avec une barbe de plusieurs jours et une capote pleine de boue, derrière un aspirant ou un sous-lieutenant au regard extraordinaire, semblant considérer l'au-delà de la réalité.
Ce même jeune homme, reposé, astiqué, fut rencontré par moi dans une rue de Fismes. Ce n'était plus le même individu, mais cependant son regard conservait toujours un aspect indéfinissable, peut-être un reflet des visions d'enfer d'où son corps était sorti. Je me suis toujours demandé s'il n'était pas prêtre, car ses yeux reflétaient la pureté, le sacrifice, comme on en voit dans certaines gravures représentant le Christ, ce modèle des victimes.

 

23 décembre 1917 (je réussis enfin à me faire couper les "tifs")23 décembre 1917 (je réussis enfin à me faire couper les "tifs")

Je réussis enfin à me faire couper les "tif" ('cheveux) . Je commençais à ressembler à ces chiens griffons qui ont les yeux cachés sous les poils.

 

30 décembre 1917 (le décès de ma mère)

Nous apprenons par l'écho de Paris la nomination de Joseph au grade de médecin-major de 1ère classe. Maman n'aura pas eu cette joie sur cette terre. Messe à St Sulpice. Monsieur l'Abbé Bourmard, vu après la messe me dit des paroles bien réconfortantes au sujet de ma sainte et chère maman.
fairepart

 

 

2 janvier 1918 (Joseph et moi repartons vers le front)

Joseph et moi, nous repartons le matin vers le front. Je descends dans la nuit en gare de Void.
Je fais la route seul à pied, dans la neige, retrouvant ma route assez facilement.

 

27 février 1918 (réflexions sur la guerre)

J'ai un peu de mal à être compris de mes camarades qui s'imaginent que parce que je n'exprime pas des sentiments révolutionnaires, que je suis très heureux d'être la guerre et que je n'ai qu'un souhait : qu'elle dure le plus longtemps possible.
Dieu sait pourtant que nos souffrances morales et physiques sont peut-être plus pénibles pour nous que pour eux Les discussions deviennent difficiles avec eux, car ils englobent tous les officiers dans le désir de continuer la guerre tant et plus.
Une cause, une idée, ne signifient rien pour leurs esprits terre à terre et égoïstes. Ils ne voient qu'une chose pour le moment : la Russie a fini la guerre et la Révolution lui a servi à aboutir à ce résultat.
L'avenir d'un peuple, d'une nation, ne compte pas pour eux. Peu importe le maître qui les asservira; On ne sait vraiment plus comment faire vibrer leurs coeurs sourds à tout ce qui est propre, à tout ce qui est beau. Je suis peiné de sentir que le fossé se creusait entre nous, parce que je me montrais toujours d'humeur égale et l'ennemi de la révolte.
C'est alors qu'on comprend que la religion est nécessaire et qu'il faut plaindre sincèrement ceux qui la renient , car c'est là seulement qu'ils pourraient trouver le soutien moral nécessaire.
"On ne dirait pas que tu as trois enfants", me disait-on. Mais malgré cela, ils ne feront pas aller contre mon devoir, justement parce que j'ai plus d'instruction et que des paroles de découragement seraient plus écoutées venant de ma part. La barricade existera-t-elle pour toujours.

 

1er mars 1918 (je pârle avec les Amércains)

Mes vagues connaissances d'allemand me permettent de temps en temps de causer avec des Américains, mais il le prononcent à l'anglaise.
Ainsi le "w" qui se prononce "oua" en anglais garde le même son quand ils parlent allemand. Au lieu de dire "was" comme s'il y avait un "v", ils disent "ouas".

 

Pâques 1918 (le maréchal Foch prend en main la conduite des opérations)

Le Maréchal Foch prend en mains toute la conduite des opérations
Montdidier est en flammes. Les Boches sont arrêtés près de Boulogne-la Grasse

 

3 avril 1918 (on commence à respirer)

On commence à respirer. L'avance boche semble définitivement enrayée. mais ils visent toujours Amiens et feront bien des efforts pour l'atteindre;

 

24 mars1918 (une pièce à longue portée a bombardé Paris)

Après plusieurs raids de gothas sur Paris et l'explosion d'un dépôt de grenades à la Courneuve, j'apprends une nouvelle extraordinaire par le communiqué officiel : "une pièce à longue portée a bombardé Paris de quart d'heure en quart d'heure avec des obus de 240mm". On croît rêver, la distance du front à la capitale dépassant 100 kilomètres.

 

28 septembre 1918 (la chasse aux rats)

La Bulgarie envoie des parlementaires au Général Franchet d'Essperey pour demander une armistice; L'armistice est refusée, mais non l'ouverture de pourparlers. Nous faisons la chasse aux rats avec une petite chienne des dragons, qui sont cantonnés à proximité .Cependant, au-dessus de ma tête, dans le baraquement il doit y avoir toute une nichée de petits rats installés entre le plafond et et le carton bitumé que l'on avit cloué par dessous pour empêcher l'eau de mouiller nos lits. Je les entends chaque nuit courir et crier. La mère laisse traîner sa longue queue sur le papier. J'aurais bien envie de démolir le tout, mais il faudrait du carton bitumé de rechange. Alors, plutôt que d'être mouillé, je me vois contraint d'accepter ce voisinage, et la chienne n'y pourrait rien faire.

 

 

Généalogie Okinczyc Alexandre Joseph